Il faut dire que, depuis quelques années, le nombre de petits éditeurs diminue de façon assez inquiétante. Parmi eux, il y en avait un certain nombre, dont Fata Morgana représente l’exemple type, mais également Unes, ou Farrago, qui étaient de « grands petits éditeurs ».
(Bernard Noël au micro d’Alain Veinstein en 2009, in Bernard Noël, du jour au lendemain, L’Amourier, 2017.)
Alors que Bernard Noël dirige la collection « Textes » chez Flammarion, il reçoit en 1978 le manuscrit d’un Varois de 23 ans, Jean-Pierre Sintive. Il en apprécie la teneur et encourage l’auteur à poursuivre dans la voie de l’écriture. S’ensuit une correspondance de plus en plus amicale. Bernard Noël intègre un texte du jeune poète dans les Cahiers de Mauregny qu’il publie avec Colette Deblé. Leur première rencontre a lieu à Toulon, le 25 octobre 1979, lors d’une exposition de Colette Deblé à la librairie-galerie Alinéa. Le contact est si chaleureux que germe l’idée de faire un livre ensemble.
Jean-Pierre Sintive est instituteur. Il décide de se lancer dans l’édition, en utilisant la petite presse typographique Freinet qui se trouve dans sa classe. En 1980, il souhaite imprimer sept poèmes de Bernard Noël parus en 73 dans La Revue de Belles-Lettres. Leur auteur propose au jeune homme d’écrire plutôt un texte qui lui soit spécialement destiné. Cette marque de confiance incite Jean-Pierre Sintive à devenir un véritable éditeur de poésie : il se forme à la typographie, puis achète une presse Phénix, du matériel d’imprimerie et une provision de beaux papiers. Six polices de caractères Times lui sont offertes par Emmanuel Hocquard. Les éditions Unes naissent fin 81 avec Le Visage volé, un recueil de Jean-Louis Giovannoni. À l’automne 1982, Bernard Noël, comme promis, envoie un manuscrit : Fable pour cacher. Le poème paraît chez Unes le 19 novembre – jour anniversaire de l’auteur et de celle à qui la Fable est dédiée. Des peintures originales de Serge Plagnol ornent le tirage de tête. Ce même jour, sur un roman cher à Jean-Pierre Sintive, Bernard Noël inscrit :
L’année suivante, les éditions Unes publient L’air est les yeux, avec des peintures de Jan Voss. D’autres auteurs et plasticiens viennent enrichir le catalogue : Roger Giroux et François Deck, Bernard Lamarche-Vadel et Mario Merz, Claude Margat et Colette Deblé, etc. En 1984, Bernard Noël écrit une Lettre verticale à Jean-Pierre Sintive. Ses livres chez Unes se succèdent d’année en année, atteignant le total de vingt-cinq. Il s’agit essentiellement de poèmes mais aussi de préfaces et de traductions.
En une vingtaine d’années, Unes devient l’un des plus prestigieux éditeurs français. De nombreuses rencontres et expositions avec les auteurs et les peintres des éditions sont organisées par Jean-Pierre Sintive.
Parallèlement, Jean-Pierre Sintive et Stéphanie Ferrat ouvrent la galerie Remarque en 1999 à Trans-en-Provence. C’est le lieu idéal pour marier les expositions à des lectures. Bernard Noël participe fréquemment aux rencontres entre peintres et auteurs initiées par les galeristes-éditeurs. Il publie six titres chez Remarque. En novembre 2000, pour fêter l’anniversaire de l’écrivain, quatre-vingt-dix œuvres d’artistes ayant accompagné ses textes sont exposées dans la galerie. Deux cents amis sont présents au vernissage.
En 2002, un incendie détruit l’entrepôt des Belles-Lettres qui stockent et diffusent les éditions Unes. Elles cessent leur activité car 25 000 exemplaires de leur fonds sont partis en fumée ! Juin 2010, nouveau coup du sort : la galerie Remarque, située près d’un cours d’eau, est victime des graves inondations qui touchent le Var. La voilà contrainte de fermer ses portes…
François Heusbourg est né la même année que les éditions Unes. À la demande de Jean-Pierre Sintive, il en reprend le flambeau en 2013. Dès le redémarrage des éditions paraît À côté du mot perdu, où des interventions de Stéphanie Ferrat accompagnent le poème de Bernard Noël.
Jean-Pierre Sintive rouvre la galerie Remarque à Draguignan en février 2020, avec une exposition Antoni Tàpies. Il décède brutalement dans la nuit du 4 au 5 février 2021.
Documents annexes
Textes de Bernard Noël à propos des éditions Unes :
Une galerie accueille un éditeur (1984)
Texte de Jean-Pierre Sintive sur ses liens avec Bernard Noël (2011)
Merci à Michèle Brunet et à Jean-Pierre Sintive pour le partage de leurs archives personnelles.
Beau travail de Bernard Noël à l’égard de Fata Morgana et des Editions Unes
une émotion durable qui a commencé il y a trente quarante ans, avant peut-être avec la lecture d’Augiéras, et du double jeu du tu, et qui s’est prolongée jusqu’au jour d’hui et la disparition de Jean-Pierre Sintive et en prolongera le souvenir vivant jusqu’à ma propre mort…