“Le désir de l’union, comme alternative au pouvoir, garde la Commune vivante : on ne lit pas en elle un rêve avorté, on lit la possibilité toujours latente d’un changement dont elle a, pour la première fois, tenté la pratique [1].”
Bernard Noël se présente lui-même comme un “fervent partisan” de la Commune de Paris. C’est à l’âge de 15 ans, après avoir lu L’Enfant, Le Bachelier et L’Insurgé, la trilogie de Jules Vallès, que débute son intérêt pour cette période révolutionnaire de l’Histoire : à l’adolescence, il lui semble qu’elle est “l’organisation de [sa] propre révolte [2]”. Plus tard, dans les années 60, il travaille comme rédacteur d’articles d’encyclopédie, ce qui aura des conséquences sur sa future activité d’écrivain…
Surviennent les événements de Mai 68, et la forte déception qui s’ensuit conduit Bernard Noël à prendre conscience de l’échec généralisé du socialisme, “l’occidental n’ayant cessé de trahir, et l’autre, le Russe, de surcroît qualifié de ‘réel’, ayant à jamais dénaturé la réalité politique [3].” Il entreprend de remonter aux sources du mouvement et plus particulièrement à la Commune. Cherchant quelle fut exactement la théorie communarde de l’État, il s’aperçoit qu’aucun traité n’a été publié à ce sujet, pas même par Marx, Engels ou Lénine. Pour s’en faire une idée précise, il décide de lire intégralement les cent quarante-et-un journaux parus de mars à mai 1871. À partir de cette longue étude et de son ancien emploi de rédacteur d’encyclopédies, il conçoit le Dictionnaire de la Commune, premier dictionnaire historique du XXe siècle. “J’avais un projet politique, qui était, à travers la Commune, d’étudier la coupure qui sépare le socialisme utopique du socialisme scientifique, mais j’avais aussi un projet d’écriture qui était de transformer le ‘dictionnaire’ en écriture [4].” Présentée dans l’ordre alphabétique, l’Histoire n’est plus un récit linéaire imposé. Bernard Noël veut “montrer le chantier à la place du monument – le chantier où chacun reprend l’histoire [5].” C’est au lecteur de la constituer en reliant les différents articles comme il lui convient, à partir des “matériaux de cette histoire dans l’Histoire [6].” “La rédaction du Dictionnaire de la Commune est le travail qui m’a le plus longuement occupé [7]”, indiquera son auteur quelques années plus tard. L’épais volume paraît le 18 mars 1971, pour le centenaire de la Commune.
Un projet d’écriture se dessine alors, celui de faire revivre dans un livre Eugène Varlin, le “Christ rouge” de la Commune. Le texte ne sera finalement pas rédigé.
En 1973, Bernard Noël découvre l’existence de L’État et la Révolution, livre disparu, au titre identique à celui de Lénine mais écrit quarante-et-un ans auparavant par un Communard : Arthur Arnould. C’est enfin “l’introuvable traité [8]” sur la conception de l’État communaliste qui avait motivé toutes ses recherches… Il lit l’ouvrage à la Bibliothèque Nationale puis rassemble des données biographiques sur son auteur. Il met tout ce travail de côté jusqu’en 1977 où il y revient et décide de restituer le livre d’Arnould en l’accompagnant d’une réflexion sur la situation politique française qui remonterait jusqu’à la Commune, mais le projet est partiellement abandonné. Il en subsiste un long texte qui va servir de préface à L’État et la Révolution. Bernard Noël confie l’ensemble, ainsi que Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris – autre texte d’Arnould – à un jeune éditeur, Jacques-Marie Laffont, croyant lui assurer le succès. Les deux livres paraissent en 1981 mais c’est un échec commercial.
Aujourd’hui, les livres d’Arnould circulent et le Dictionnaire de la Commune, plusieurs fois réédité, est devenu une référence. Différents ouvrages sur la Commune ont été préfacés par Bernard Noël. Cette période révolutionnaire unique est si vive en lui qu’elle semble “faire partie de [sa] propre mémoire [9].” Il ne cesse d’en souligner les répercussions toujours actuelles : d’une part, l’idéal de société qu’elle a voulu pratiquer est devenu un modèle ; de l’autre, la violence inouïe de la répression versaillaise (entre 20 000 et 35 000 exécutions), les 7496 déportations de Communards et les atrocités commises en plein Paris sont toujours présentes dans l’inconscient collectif. Ainsi, dans son essai majeur La Castration mentale, le texte intitulé “La Scène primitive” revient sur le geste des bourgeoises qui, avec leurs épingles à chapeau, ont crevé les yeux des prisonniers communards passant près de l’Opéra, “sous les applaudissements et les rires”. Bernard Noël constate que ce geste barbare n’en finit pas de se répéter, mais insidieusement : de nos jours, le pouvoir commet “un meurtre du regard” en aveuglant les révoltés avec des images, “ce qui a l’avantage de n’être ni salissant ni douloureux”…
[1] “Textuel d’A.A.” in Le Sens la Sensure (Talus d’approche, 1985).
[2] Bernard Noël ou l’éclaircie de Jacques Ancet (Opales, 2002).
[3] Préface de la troisième édition du Dictionnaire de la Commune (Mémoire du livre, 2001).
[4] “Entretien avec Jean-Marie Le Sidaner” in La Place de l’autre, Œuvres III (P.O.L, 2013).
[5] Préface de la première édition du Dictionnaire de la Commune (Fernand Hazan, 1971).
[6] Ibid.
[7] “L’Histoire, une lecture” in L’Outrage aux mots, Œuvres II (P.O.L, 2011).
[8] Ibid.
[9] Ibid.
Trois documents
Un regard nouveau, préface des “Pétroleuses” d’É. Thomas (extrait)
Entretien inédit de Bernard Noël sur la Commune (1971)
Le Dictionnaire de la Commune, un poème (par Luc Grand-Didier)
Merci à L’Amourier et à Luc Grand-Didier pour leurs aimables autorisations.
Le rayon ‘Commune’ dans la bibliothèque de Bernard Noël
Bibliographie des textes sur la Commune
1971
Dictionnaire de la Commune, Hazan, Paris. Cette édition comporte 800 articles et 92 illustrations. La préface est de BN.
Le magazine Politique hebdo n° 23 (11 mars) reprend douze articles du Dictionnaire de la Commune.
Le magazine Elle n° 1321 (12 avril) reprend dix articles du Dictionnaire de la Commune concernant les femmes.
1978
Dictionnaire de la Commune en deux volumes, édition non illustrée, augmentée de 73 articles, d’un index thématique et d’une nouvelle préface de BN, Champs/Flammarion, Paris.
1981
Quatrième de couverture de Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris de Arthur Arnould, Jacques-Marie Laffont, Lyon.
Arthur Arnould ou la vie d’un mort est toujours fictive, préface à L’État et la Révolution de Arthur Arnould, Jacques-Marie Laffont, Lyon. La quatrième de couverture est également rédigée par BN.
1985
La préface de 1981 est reprise dans Le Sens la Sensure (Talus d’approche, Le Rœulx) sous le titre Textuel d’A.A. Elle est accompagnée d’un deuxième texte sur la Commune : La vie d’un mort est toujours fictive.
1994
La scène primitive dans La Castration mentale, Ulysse fin de siècle, Plombières-les-Dijon.
1998
Le Trésor perdu, préface à La Commune, Paris 1871, Photo poche Histoire/Nathan, Paris. BN est également l’auteur des légendes qui accompagnent les photographies.
2001
Dictionnaire de la Commune, avec une nouvelle préface de BN, Le Grand Livre du mois/Mémoire du livre, Paris.
2009
Arthur Arnould ou la vie d’un mort est toujours fictive, préface à L’État et la Révolution de Arthur Arnould, Res publica, Gémenos. La quatrième de couverture est également rédigée par BN.
Quatrième de couverture de Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris de Arthur Arnould, Res publica, Gémenos.
2011
L’Outrage aux mots, Oeuvres II (P.O.L, Paris) comporte un chapitre qui rassemble six textes sur la Commune : L’Histoire, une lecture (version légèrement remaniée de l’introduction sans titre de la « Partie 1 » de Le Sens la Sensure), Préface à la troisième édition (du Dictionnaire de la Commune), Le Trésor perdu, La Scène primitive, La vie d’un mort est toujours fictive, Textuel d’A.A.
2015
À propos, préface à Blanqui, l’enfermé de Gustave Geffroy, L’Amourier, Coaraze.
2018
La Commune sur le vif, préface à Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris de Arthur Arnould, Klincksieck, Paris.
2019
Un regard nouveau, préface à Les “Pétroleuses”, d’Édith Thomas, L’Amourier, Coaraze.
http://www.amourier.com/673-les-petroleuses.php
Bonjour,
Je voulais manifester ma gratitude, mon admiration et ma sympathie pour Bernard Noël, que j’ai rencontré de diverses manières à plusieurs reprises. La première à été la lecture du Journal du Regard, qu’un ami peintre m’a fait découvrir … il y a une trentaine d’années. Depuis ses livres, ses lectures et des rencontres ont prolongé la révélation de ma première lecture: la clarté, la lumière et l’ouverture, celle de l’espace qui sépare ou/et relie les êtres, qui sépare ou/et relie le sujet de l’objet, la concrétisation vivante de cet espace à été et reste encore une clef essentielle dans ma vie. J’admire cet homme engagé, révolté, lumineux et silencieux qu’il a été. Je vais le lire et le relire.