Lettre à Claude Ollier

© Flammarion

« L’écriture d’Ollier c’est l’intime sans limite. »
(Bernard Noël, entretien avec Christian Rosset, Europe n° 1105)

Claude Ollier a 38 ans quand il publie son premier livre, La Mise en scène (1958). Il est alors classé parmi les écrivains du Nouveau Roman, mais il se détache vite de ce courant pour créer une œuvre tout à fait singulière, s’apparentant parfois à la littérature fantastique. Pour Bernard Noël, c’est un grand auteur trop méconnu. Christian Rosset décrit ainsi Claude Ollier : « Il se tenait toujours très droit. Comme un militaire au temps des colonies ? Ne faisant jamais de grands gestes, les bras souvent collés au corps, il pouvait être intimidant. Difficile de le prendre en défaut. Homme d’ordre, soucieux de clarté et pourtant grand rêveur, il n’accordait pas grande attention à la manière de s’habiller, usant ses pulls jusqu’à ce qu’ils ne soient plus portables, gardant cependant en bon état un complet  pour les grandes occasions. Il recherchait la paix [1]. »

Deux épistoliers

Lorsque Bernard Noël écrit pour la première fois à Claude Ollier, il dirige la collection « Textes » chez Flammarion. Sa lettre accompagne le contrat éditorial pour la publication de Marrakch Medine. Entre les deux écrivains circule une estime réciproque et une amitié va naître, à la fois chaleureuse et respectueuse. Il leur faudra cinq ans pour se tutoyer… Leur correspondance comporte près de deux cent cinquante lettres. Elle cesse en 2008 parce que la santé de Claude Ollier se dégrade. Cette correspondance sera éditée par les éditions P.O.L en 2023.

Lettre de Bernard Noël à Claude Ollier, 21 février 1992

Lire ici la transcription de la lettre.


Claude Ollier,
Mesures de nuit, gravures sur bois de Claude Garanjoud
(La Sétérée, 1988)

Une histoire illisible

Bernard Noël trouve ce titre quelque peu masochiste… Pour Claude Ollier, cette provocation est un jeu. Il explique à Denis Roche l’origine de ce roman : retrouvant une photo de sa fille qu’il avait prise quelques années auparavant entre Marrakech et Essaouira, il l’a scrutée avec une loupe et il y a découvert quantité de détails qui ont déclenché le récit [2].

C’est le roman de Claude Ollier qui a le plus marqué Bernard Noël : « Dans Une histoire illisible, il y a comme un saut brusque qui entraîne un changement de dimension. Cette syncope qui change le récit m’a toujours échappé [3]. » Il l’a relu de nombreuses fois sans réussir à élucider la « syncope ». « Tout à coup, on ne sait plus qui parle, parce que c’est «le même» qui parle, mais ce n’est plus le même, il a changé à la fois de personnalité, apparemment de profession et il s’ensuit une espèce d’acuité — enfin d’acuité au présent, mais ce présent on ne sait plus très bien où il est [4]. » L’étrangeté du livre écrit en 1985 pourrait se comparer à celle du film Mulholland drive de David Lynch (2001), un cinéaste pour lequel Ollier se passionne dès le milieu des années 80.
Bernard Noël s’est entretenu avec Patrick Roudier à propos de Une histoire illisible :

« Patrick Roudier : À propos de ce livre, j’ai envie d’employer le mot d’autobiographie.

Bernard Noël : Si on parle d’autobiographie, on va fausser immédiatement, je crois, le rapport éventuel du lecteur avec le livre parce qu’à aucun moment Claude Ollier ne raconte sa vie mais je pense qu’à tout moment il la raconte. Dans cette autobiographie, il y a des personnages et il n’y a pas d’auteur. Il y a par exemple une réplique qu’il rapporte quelque part dans le livre où l’un des personnages demande à l’autre : « Qu’est-ce que c’est que l’histoire ? » Et l’autre lui répond : « C’est l’espace entre les personnages. » Il s’agit de savoir ce que raconte un film, me semble-t-il. Ce qui prévaut à la lecture c’est ce sentiment d’un espace entre des personnages qui n’en sont pas mais qui sont les diverses modalités du « je » de l’écrivain. L’autobiographie serait la mise en jeu de ces diverses modalités entre une pluralité de personnages dont la pluralité ne suffit pas à faire l’autobiographie d’un seul, bien que chacun d’eux soit un visage possible parmi une infinité de visages possibles.

P.R. : Cela expliquerait peut-être cette utilisation « forcenée », diraient certains, des coïncidences et des doubles dans l’œuvre d’Ollier en général ?

B.N. : Ce qui est assez fascinant dans ce livre c’est qu’on passe d’un personnage à l’autre sans s’en rendre compte, ces personnages étant toujours le même et étant pourtant complètement différents, exprimant chacun une face de ce qui a été ou de ce qui aurait pu être, ce qui revient au même, l’ensemble de ces démarches – c’est ça qui est unique dans ce livre – constituant peu à peu une sorte de terre de mémoire, laquelle se confond avec l’écriture. Celle-ci engendre quelque chose de perceptible, de matériel, qui est cette terre ou cet espace – mais « terre » c’est plus concret – et chaque partie du livre ajoute un territoire à cette terre. Elle l’ajoute et en même temps elle le découvre. C’est comme si on avançait dans du blanc qui se comblerait au fur et à mesure de territoires nouveaux mais c’est un voyage ou un parcours qui n’est jamais définitif [5]. »

Le 9 mars 1987, Bernard Noël écrit à Claude Ollier : « Je crois que tu as écrit l’un des livres majeurs de cette époque, car, outre la qualité exceptionnelle de son écriture, il est fondateur de quelque chose de neuf. »

[1] Christian Rosset, Le Dissident secret, un portrait de Claude Ollier, photographies de Camille Rosset, Hippocampe, 2020, p. 63.

[2] Le bon plaisir consacré à Claude Ollier, France Culture, 14/03/1987.

[3] E-mail à Nicole Martellotto, 23/10/2014.

[4] Entretien avec Christian Rosset, Europe n° 1105, 2021, pp. 340-341.

[5] Le bon plaisir, op. cit.

*

Les passerelles entre Bernard Noël et Claude Ollier sont nombreuses :

1979

Bernard Noël publie Marrakch Medine chez Textes/Flammarion. Dans cette collection seront également publiés Nébules, Été indien (tous deux en 1981), Mon double à Malacca (1982) et Une histoire illisible (1986). Flammarion présente l’auteur dans la plaquette Claude Ollier aujourd’hui (1981).

La correspondance Bernard Noël/Claude Ollier débute en mai.

1980

Bernard Noël publie un article (« L’inacceptable ») dans le n° 3 du journal le Narraté libérateur. Claude Ollier est le rédacteur de ce numéro.

1984

Bernard Noël s’entretient avec Claude Ollier pour le n° 213 du Magazine littéraire.

1987

Un article de Bernard Noël sur Une histoire illisible paraît dans le numéro d’avril du mensuel Viva.

Le bon plaisir consacré à Claude Ollier comporte différents intervenants dont Bernard Noël (émission de France Culture diffusée le 14/03/1987) .

1992

Bernard Noël rédige une présentation et réalise une transcription des propos de Claude Ollier pour le n° 2.17 des Lettres françaises.

1995

Claude Ollier interroge Bernard Noël pour L’Œil de la lettre. Ce dialogue a été repris dans La Place de l’autre, Œuvres III (P.O.L, 2013).

Lorsque Outback ou l’Arrière-monde, écrit par Claude Ollier en 1993, est refusé par Flammarion, c’est Bernard Noël qui convainc Paul Otchakovsky-Laurens de publier le livre. Tous les titres ultérieurs de Claude Ollier paraîtront chez P.O.L.

1996

Dans Cité de mémoire ; entretiens avec Alexis Pelletier (P.O.L), Claude Ollier évoque Bernard Noël aux pages 43, 76, 191 et 230.

1997

Bernard Noël s’entretient avec Claude Ollier lors du colloque à la Maison des écrivains (Paris), organisé par Mireille Calle-Gruber. Les actes de ce colloque ont été publiés sous le titre Claude Ollier, passeur de fables (Jean-Michel Place, 1999). L’entretien s’intitule « En dialogue, Bernard Noël et Claude Ollier » (p. 337-342).

Michel Deguy, Mireille Calle-Gruber, Bernard Noël et Claude Ollier, le 13 décembre 1997

1998

Dans L’Espace du poème ; entretiens avec Dominique Sampiero (P.O.L), Bernard Noël évoque Claude Ollier à la page 136.

2000

Claude Ollier publie Quartz aux éditions de L’attentive que dirige Éliane Kirscher, qui est alors la compagne de Bernard Noël. Celle-ci réalise une encre noire pour cet ouvrage.

Claude Ollier écrit une Lettre verticale  à Bernard Noël à l’occasion des 70 ans de ce dernier. Ce poème a été publié par les éditions Unes. Il a été réédité en 2001 dans le n° 5 de la revue Fusées.

2005

Claude Ollier participe au colloque de Cerisy consacré à Bernard Noël. Les actes de ce colloque ont été publiés sous le titre Bernard Noël : le corps du verbe (ENS éditions, 2008). La contribution de Claude Ollier s’intitule « Le nom et son contexte ». Elle porte sur Le Syndrome de Gramsci, de Bernard Noël.

2012

À l’occasion des 90 ans de Claude Ollier, Christian Rosset réalise l’émission À la recherche de Claude Ollier, diffusée sur France Culture le 18 décembre. Bernard Noël fait partie des intervenants. L’intégralité de son entretien avec Christian Rosset est publiée dans le n° 1105 de la revue Europe (2021).

 

Merci à Arno Bertina, Stéphane Bikialo, Mireille Calle-Gruber, Jacques Clerc, Jean-Pierre Han et Christian Rosset pour leurs contributions à la documentation de cet article, ainsi qu’à Ariane Ollier pour son accord chaleureux.

Une réflexion sur « Lettre à Claude Ollier »

  1. Je découvre Bernard Noël, lecteur et critique en même temps. Une si belle analyse généreuse de l’oeuvre de l’autre. Très intéressante cette présentation de ce lien entre ces deux auteurs. Merci.

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